par Nicolas Bomont
Nous sommes prisonniers de nos préjugés lorsqu’il s’agit d’aborder d’autres rationalités, et le problème naît souvent non pas de ce que nous n’avons pas su prévoir mais de ce que nous n’avons pas voulu voir, déclarait récemment à propos de la guerre en Ukraine le directeur de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale.
Le monde moderne est confronté à des menaces hybrides, la France y envisage désormais la conflictualité comme une simultanéité de compétition, contestation et affrontement, et non plus comme un continuum paix-crise-guerre.
Il s’agit alors de « gagner la guerre avant la guerre » comme le déclare le chef d’état-major des armées, et donc de jouer sur les perceptions. La notion de dissuasion s’y étend au-delà du seul domaine nucléaire. Elle repose sur l’affichage d’une volonté et le maintien de l’ambiguïté des intentions. Elle requiert donc l’appréhension fine de la façon dont seront perçus les signaux envoyés.
Une action militaire d’ampleur s’inscrit aujourd’hui dans une logique de coalition. L’interopérabilité requise est alors certes technique et procédurale, mais également humaine. C’est pourquoi les travaux de doctrine à l’OTAN débutent par la définition d’une terminologie commune, qui permet ensuite de partager des concepts sans incompréhension ou malentendu liés aux grilles de lecture attachées à une langue et à une culture.
Qu’il s’agisse de l’adversaire potentiel ou de l’allié nécessaire, la prise en compte de l’interculturalité représente donc une nécessité primordiale. L’armée française détient un certain savoir-faire reconnu dans ce domaine, aiguisé par une pratique régulière et ancienne. Cependant, rien n’est jamais définitivement acquis, et les cultures sont dynamiques. Il convient donc tout à fois de pérenniser et d’adapter sans cesse ce précieux capital.
A l’heure des organisations matricielles et de l’échelle planétaire du moindre échange, la multiplication des parties prenantes impose également cette prise en compte pour toute entreprise et plus généralement dans tout projet. C’est d’autant plus vrai que la technologie permet d’entrer en relation avec d’autres contextes culturels sans même avoir à se déplacer, voire sans s’en rendre compte. Certains pratiquent l’interculturalité inconsciemment, d’autres empiriquement, et si l’efficacité commande de s’appuyer sur une modélisation lorsqu’il s’agit de répondre à une question précise, le domaine de validité associé est par nature limité.
Comme le contexte sera immanquablement différent à chaque fois, quand bien même il serait similaire, il apparait pertinent de chercher à saisir les ressorts de l’interculturalité et d’identifier des principes généraux avant de les appliquer ensuite à un cadre espace-temps donné et dans un but précis. Pour l’appréhender dans sa globalité, les échanges entre acteurs les plus variés constituent donc une approche intéressante. En variant les angles de vision et centres d’intérêt il est alors possible d’obtenir une mise en perspective dont chacun tirera profit dans son domaine propre en fonction de ses besoins. C’est là me semble-t-il le moteur des activités du Club : par la richesse des interactions, grâce à la puissance de l’analogie comme à l’identification de différences fondamentales, susciter la remise en question pour faire émerger des pistes de compréhension transposables pour l’action.
Nicolas Bomont